Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/140

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le titre pompeux de Nationale, traitait les soldats français, se fiant à ce que la France ignorait de tels procédés. Car il est certain que si ces abus s'étaient ébruités, le capitaine aurait eu, comme on dit, une mauvaise presse. D'ailleurs, sur tous les navires de cette compagnie, les soldats ont été logés à la même enseigne. Les officiers, comme l'équipage, ne leur parlaient que sur un ton de mépris, et plus d'une fois, au cours de la traversée, j'ai assisté à des batailles entre les soldats et les matelots. Tout cela n'était pas gai, mais ce qui l'était moins encore, c'est que, presque tous les jours, on jetait à la mer des camarades qui, au départ de Majunga, avaient encore eu la force de crier : Vive la France ! Ils avaient cru, les infortunés, en mettant les pieds sur le navire, être déjà sur le sol natal. Mais le destin n'en a pas eu pitié et leurs pauvres yeux se sont fermés avant d'avoir revu les vieux parents et la promise aux doux regards.

A Port-Saïd, un navire de guerre nous attendait pour nous donner des manteaux de cavalerie et des vestes et pantalons de toutes armes. Nous étions drôlement nippés mais, si bizarre qu'il nous parût, cet accoutrement nous protégea cependant du froid.

Avant de débarquer à Oran, nous fîmes escale à Mostaganem, pour y laisser quelques malades. Le colonel du 2e régiment de tirailleurs algériens était là et nous dit avec une simplicité touchante : « Légionnaires, au nom de mon régiment, je vous apporte un fraternel salut ; demain à Oran le peuple algérien vous montrera toute la joie que lui cause votre heureux retour. » Le lendemain, nous débarquions à Oran au son de la musique. Les généraux embrassèrent les officiers. Puis, lorsque les hommes furent rassemblés à terre, un cri sortit de toutes les poitrines, s'adressant à notre... galère et à son personnel : Adieu, sale bateau !

On nous encadra dans un cortège que précédaient plusieurs sociétés en tenue avec musiques et étendards.