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La décoration de la ville et la joie populaire sur notre passage dépassaient toute imagination. Je ne vis pas une seule maison sans fleurs ou sans drapeaux. Des oranges, des cigares pleuvaient sur nous, tombant des fenêtres et lancés avec des sourires par de jolies mains de femmes, aux cris mille fois répétés de : Vive la Légion ! Sur la place de la République, où un arc de triomphe était dressé, nous traversons une véritable fourmilière humaine, et de là jusqu’à la caserne des zouaves, ce ne sont que guirlandes de verdure et mâts surmontés d’oriflammes. Le soir, on pouvait voir dans les cafés les officiers de la garnison d’Oran choquer leurs verres contre ceux des légionnaires. La population civile s’en mêla ; dans plusieurs grands hôtels et cafés, le champagne, et cette fois du vrai, coulait à flots. On nous portait en triomphe ; on composait des chansons en notre honneur. Dans les cafés-concerts, à l’entrée d’un légionnaire, la musique jouait la Marseillaise. C’était la fête d’une ville véritablement patriote, sans réticence, une fête comme je n’en ai plus revu depuis.

Le lendemain, nous partions pour rejoindre le régiment. Le colonel, le drapeau déployé et tous les hommes disponibles nous attendaient à la gare. Après le discours du maire, le colonel de Villebois-Mareuil (1),

(1) Le colonel de Villebois-Mareuil, ainsi que sa charmante fille que les légionnaires surnommaient « la Mignonnette », étaient très aimés et profondément respectés par les soldats et la population civile. Ils le méritaient bien l’un et l’autre. Le colonel possédait de hautes vertus militaires ; brave, loyal, sévère, mais juste, il était, dans toute la force du mot, un soldat accompli et cachait un cœur d’or sous son masque de sévérité ; le bien-être du soldat était son constant souci. La France a perdu en lui un serviteur d’élite, d’une grande élévation de caractère et d’une valeur militaire reconnue par tous.

Sa fille était d’une simplicité touchante. Très charitable, et franche comme son père, elle assistait parfois à côté du colonel aux petites fêtes du régiment qui étaient toujours organisées au profit des malades. Elle y servait elle-même, de ses petites mains blanches et fines, quelques friandises aux soldats. D’autres fois,