Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/147

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pour discerner leur état d'esprit. Il cherche à lire sur leurs visages la gaieté ou le mécontentement. Le plus souvent, marchant encadré pendant les routes, il n'est pas maître de régler l'allure de sa compagnie et il ne peut rien pour soulager ses hommes. Mais à l'étape, il cherche, par tous les moyens, à réparer leurs forces et à leur éviter des fatigues inutiles. Il veille sur eux comme un berger sur ses moutons ; il ne tolère pas qu'on les dérange inutilement ; c'est une famille qu'on a confiée à sa garde, il tient à honneur qu'elle se fortifie et qu'elle prospère entre ses mains.

Voulant à toute force quitter Toulon, je réussis, sur ma demande et à mes frais, à permuter pour Rochefort où j'ai trouvé une population aimable et polie, toute différente de celle de Toulon. Le soldat y est partout bien accueilli et ces bonnes relations entre militaires et civils ont fait souvent contracter des mariages entre sous-officiers et jeunes filles de Rochefort. Quelque temps après, je fus désigné pour aller au bataillon de Paris, où j'ai trouvé le service particulièrement pénible et ennuyeux et la nourriture mauvaise. On fait beaucoup de tapage, surtout à Paris, au sujet de l'amélioration de la nourriture du soldat. Il n'est question que de plats variés, de cuisines dernier modèle et de cuisiniers costumés en chefs de grands restaurants. Les officiers qui font ce qu'ils peuvent avec les ressources de l'ordinaire ne s'y trompent pas et les vieux soldats non plus. Ils savent qu'il n'y a qu'un moyen pratique d'améliorer l'alimentation du soldat : c'est d'augmenter les allocations, surtout quand les denrées renchérissent. Tout le reste est de la poudre aux yeux, rien de plus.

A Paris cependant, dès que j'étais sorti de la caserne, j'avais la satisfaction de me trouver au milieu d'une population véritablement amie du soldat, qui le prouvait chaque fois qu'une occasion se présentait. Je me perdais assez souvent dans cette ville immense, que je trouvais vaste comme la mer, et chaque fois