Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/23

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de dévouement et de gratitude pour leurs chefs, et ceux-ci, vous le savez, sont des officiers français, choisis généralement parmi les meilleurs de l'armée.

Quand j'ai débarqué à Saïda, par le train de cinq heures du soir, pour être incorporé au deuxième régiment étranger comme engagé volontaire, je fus conduit en détachement à la caserne, musique en tête. Ce détachement se composait d'une quarantaine d'hommes venus de différents pays. Il y avait des Alsaciens, des Allemands, des Belges, des Italiens, un Américain, et... un Turc. Ce Turc parlait assez bien le français et, à ce titre, il prétendait être jusqu'à Saïda chef de détachement. En route on le laissa faire ; mais à la gare de Saïda où on nous forma par deux pour nous conduire à la caserne, le Turc se démenait, parlait aux gradés sur un ton arrogant, etc. D'un coup de poing, l'Américain, qui était un véritable hercule, mais flegmatique et doux, le calma et le remit dans le rang. Pendant la marche, tout alla bien. La musique jouait des morceaux qui m'étaient inconnus. Je m'abandonnais à mes pensées que la mélodie excitait, mais que je ne pouvais préciser. Il me manquait un confident. Eh bien ! ne riez pas, j'ai souffert. Oui, c'est une souffrance que d'avoir des pensées à soi, des idées qu'on voudrait, sans le pouvoir, communiquer à d'autres.

Cependant la nature me tira de mes rêves. Je levais les yeux et je voyais un ciel rouge, rose, gris et doré dont les couleurs se combinaient avec une extraordinaire harmonie, un ciel algérien. Je ne pouvais m'empêcher de dire à un camarade qui marchait à côté de moi : « Regarde ce ciel, ne dirait-on pas qu'il nous souhaite la bienvenue ? » Et je restais en extase.

Nous arrivâmes enfin à la caserne et nous fîmes halte dans la cour, un vaste carré entouré de maisons blanches, d'un aspect très agréable. Le clairon sonna aux sous-officiers de semaine pour nous conduire dans nos compagnies respectives. On nous indiqua nos lits,