Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entretenaient une température de serre chaude. Et voyez pourtant jusqu'où va l'esprit de contradiction ! Dans aucune de mes campagnes, je n'ai voulu accepter de faire partie de ces troupes de l'arrière ! C'est en effet à l'avant qu'on agit et, malgré les vicissitudes qu'on éprouve, ce n'est que là qu'on vit véritablement une campagne.

Notre capitaine fut cité à l'ordre du jour pour sa courageuse attitude à l'affaire de la grotte. Dans le même ordre, le général en chef nous engageait à nous méfier et à nous tenir constamment sur nos gardes contre les attaques imprévues et sournoises des Chinois. Tout le monde remarqua le silence complet de l'ordre sur tout ce qui se passait en dehors de notre colonne. Que faisaient les 16e et 18e régiments coloniaux ? Mystère !

Le 18 novembre, nous touchâmes enfin les effets d'hiver, mais pas au complet. Le contraire eût été trop beau. On nous envoyait seulement les bérets et les capuchons. Quant aux autres effets, j'ai pensé qu'on avait envoyé nos mesures en France pour les confectionner. Alors je me suis dit : ce sera pour le mois de juillet, quand le Peï-ho sera dégelé.

A vrai dire cependant, tout commençait à aller mieux. Les convois de vivres nous parvenaient régulièrement. Nous avions du vin et du tafia. Certes, j'ai maintes fois « ronchonné » in petto quand il fallait faire de longues étapes sans nourriture, mais je ne me rappelle pas avoir jamais formulé une plainte à ce sujet. D'ailleurs, Napoléon n'a-t-il pas dit que « le vieux soldat ronchonne, mais marche quand même ». Puis en campagne, on doit savoir tout supporter. Le commandant de notre colonne m'avait désigné comme porte-fanion. J'avais reçu un mulet qui, le premier jour, m'avait fort malmené. Sans aucun égard pour mes fonctions, il m'envoyait des pétarades ou faisait le cabochard. Je l'avais appelé Taï-Ling, nom du village où il était né. Il était d'un entêtement peu