Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/243

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ordinaire, même chez ses semblables. Ainsi, il s'arrêtait parfois subitement et refusait absolument d'avancer, juste au moment où je devais transmettre un ordre. A mon raisonnement ou à mes flatteries, il faisait une réponse muette, mais significative : une ruade bien sentie, répétée au besoin, et j'étais projeté à terre. D'autres fois, il m'emballait au grand galop, s'arrêtait net, faisait des écarts, se cabrait et à la fin... me déposait. Je finis cependant par le mettre à la raison, à tel point qu'il en vint à me suivre de lui-même quand je marchais à pied. Malheureusement, un jour il se cassa une jambe et à mon grand regret fut condamné à mort par le capitaine adjudant-major. Son exécution eut lieu le matin ; le soir, nous mangions sa chair en pot-au-feu. On me donna un second mulet qui fut d'un dressage plus facile ; aussi faisions-nous une paire d'amis.

J'escortais partout le commandant Fonssagrives. Une fois, nous allâmes à Tcho-Tchéou en trois étapes. Chemin faisant, le commandant me rappelait quelques épisodes du Dahomey où il avait joué un rôle important comme officier d'état-major et avait reçu une blessure grave. On l'avait décoré de la Légion d'honneur pour sa brillante conduite et la croix lui avait été épinglée sur la poitrine par le général Dodds. Le commandant était alors sur un brancard, à l'ambulance de Ouidah. Ç'avait été une petite cérémonie touchante dont je lui rappelai fidèlement les détails. Il souriait. Moi, j'éprouvais un réel plaisir, car le commandant Fonssagrives avait toujours été un chef juste et bon, soucieux du bien-être de ses soldats et très aimé d'eux.

A Laï-Su-Sien, le préfet nous reçut avec beaucoup de cérémonies, mais le commandant clignait de l'œil, en ayant l'air de dire : « Vieux malin, tu ne me tromperas pas. » A proximité de Tcho-Tchéou, nous rencontrâmes deux sœurs de charité françaises. Elles se rendaient à Pao-Ting-Fou pour y soigner des blessés et des malades.