Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/262

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paroles : « Eh bien, mon brave Silbermann, ce n'est pas la première fois que cela nous arrive, mais nous n'en mourrons encore pas cette fois-ci, n'est-ce pas ? » Le soir, vint un Chinois avec un panier qui contenait une douzaine d'œufs. C'étaient les premiers que nous voyions depuis fort longtemps. Le capitaine les acheta à un prix exorbitant et me dit : « Voilà pour vous et votre escouade. » Je protestai, mais il fallut accepter. Cet acte de généreuse bonté m'alla droit au cœur, car je savais que lui-même venait de dîner avec du riz cuit à l'eau. Pourquoi faut-il que la mort enlève de tels hommes aux affections dont ils sont entourés ?

A I-Tchéou, j'assistai encore à une exécution de six Boxers, avec le cérémonial que j'ai déjà décrit. A Pékin, on exécuta aussi deux ministres chinois en présence des troupes alliées. Le 11 février, un mercanti français qui sûrement n'en était pas à son coup d'essai, s'était hasardé jusqu'aux Tombeaux. Il vendait ses marchandises, d'une qualité très inférieure, à des prix tellement extravagants que le commandant nous rappela dans un de ses rapports journaliers que l'argent des soldats en campagne n'était pas précisément destiné à enrichir les aventuriers. Là-dessus, ses affaires ayant périclité, cet individu, un nommé D..., fut autorisé par le commandant qui avait pitié de lui, à nous accompagner de Tien-Tsin à Pékin. Pendant la route, il fut nourri par les hommes de ma compagnie. Il était sans chaussures, avec des effets en guenilles sur le dos. Un homme de ma section lui donna une paire de souliers et une vieille vareuse. Quelques mois plus tard, notre homme menait la grande vie à Pékin. Il y avait fait fortune grâce au pillage qu'il avait largement pratiqué, à l'abri de toute surveillance ; puis, il reprit son commerce et, pour nous témoigner sa reconnaissance, il chercha de nouveau à nous exploiter. Mais notre commandant, soucieux de tout ce qui concernait ses soldats, l'arrêta net en lui interdisant le cantonnement. De Pékin nous recevions journellement