Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/282

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major de garnison. Pour un revenant de la brousse c'était jouer de malheur. Je reçus en effet l'observation que j'étais misérablement habillé et encore plus misérablement chaussé. Le capitaine m'engagea à regagner le dépôt au plus vite. « Avec votre affublement, vous avez l'air d'un chanteur des rues », me dit-il. Naturellement, pensai-je, ceux qui n'ont jamais quitté Tien-Tsin n'ont pas de mal à être proprement habillés et tirés à quatre épingles. Ce n'est cependant pas une raison pour me regarder avec pitié et me reprocher mon dénuement.

De Tien-Tsin, je me rendis à Takou. Là également je remarquai une multitude de nouvelles constructions. L'animation y était très grande ; c'était à se croire dans une foire. Les villages entre Tien-Tsin et Takou, détruits au mois de juillet, commençaient à se reconstruire. Le Peï-Ho ne charriait plus de cadavres. Enfin la campagne, qui avait coûté tant de vies humaines et dont les Chinois se souviendront longtemps, semblait cette fois, bien terminée. Je ne pouvais m'empêcher cependant de revenir par la pensée à dix mois en arrière, à cette époque où je ne voyais partout que misère et désolation. Takou nous ayant offert la première scène tragique de ce long et effroyable drame, c'était une émotion pour moi de retrouver la ville pacifiée et de voir couler, plus limpide et plus calme, le Peï-Ho naguère encore rougeâtre de tout le sang qui avait été répandu.

Avant de rentrer en France, je cherchai à mettre un peu d'ordre dans les notes que j'avais recueillies, afin de conserver un souvenir intact de la campagne. Pour leur part, les soldats coloniaux y avaient certainement vu du nouveau, puisqu'aucun d'entre nous n'avait encore assisté à une expédition pendant laquelle le thermomètre fût descendu aussi bas, 23e au-dessous de zéro. Nous y avons horriblement souffert, sauf bien entendu ceux qui sont restés dans les grands centres. Quant à moi, je n'oublierai jamais