Page:Leopardi - La Poésie, trad. Lacaussade, 1889.djvu/139

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LE SONGE 81

— « Tais-toi, ma très aimée ! ô chère infortunée,

Tais-toi ! De ton départ mon âme est consternée.

Mortel morte ! et je vis ! O deuil ! vide abhorré !

11 était donc écrit que ton corps adoré,

Ce corps tendre et charmant, et digne des cïeux mêmes,

Subitement glacé par les sueurs suprêmes,

Descendrait avant moi dans la nuit sans réveil !...

Que de fois en pensant que ta forme si chère,

Que ce front jeune et beau dort son demier sommeil,

Que je ne te verrai jamais plus sur la terre,

J’ai refusé d’y croirel... O lamentable sort !

Sombre réalité !... Quelle est donc cette chose,

Cette énigme sans mot qu’on appelle la mort ?

Que ne puis-je, affrontant l’ombre oü ta vie est close,

Que ne puis-je l’apprendre ! et dés mon vert matin

Me soustraire ^ la haine atroce du Destin !

Je suis jeune, et Ie ciel condamne ma jeunesse

Au long isolement d’une aride vieillesse.

La vieillesse 1 Elle est loïn ! J’en ai pourtant effroi...

Printemps, hiver, hélas ! se ressemblent pour moi. »

— " Nous sommes tous deux nés pour les larmes, dït-elle;

La vie également nous fut dure et cruelle.

Le bonheur ne s’est point penché sur nos berceaux,

Et le ciel malveillant se complaït à nos maux... »


— " Si de pleurs maintenant se voile ma paupière,

Lui dis-je, et si mon front se couvre de paleur

A cause de ta mort, sois douce à ma prière,

Et par ce cocur brisé d’angoisse et de douleur,