Page:Leopardi - La Poésie, trad. Lacaussade, 1889.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

82 LE SONGE


Parle ! Quand tu vivais, jamais une étincelle

D’amour ou de pitié pour moi t’effleura-t-elle ?

Ai-je une heure, un moment, un seul, touche ton coeur ?

Moi, je traînais alors mes jours dans la souffrance,

Allant de 1’espérance à la désespérance.

Aujourd’hui, c’est le doute, un doute amer et vain

Qui me ronge l'esprit de son âcre venin ;

Et tu peux m’en guérir !... Une fois en ma vie.

Si, prise de pitié, tu m’as plaint, je t’en prie,

Ne me le cache pas ! qu’il reste un souvenir

A qui te perd, et perd avec toi l’avenir ! »

Elle reprit : — « Jamais je ne te fus avare

De ma silencieuse et fervente amitië ;

Le serai-je aujourd’hui que la mort nous sépare ?

Ce que je sens pour toi n’a pas nom la pitié.

Ta peine a toujours fait mon ame douloureuse ;

Console-toi : je suis comme toi malheureuse ! »


— «Bh bien ! par nos malheurs, eh bien ! par mon amour

Qui te survit, au nom chéri de la jeunesse,

De nos espoirs perdus et perdus sans retour,

Permets, ó bien-aimée, oh ! permets que je presse

Ta main !... » Et tout en moi l’adjure palpitant.

Elle, d’un geste doux et triste, me la tend...

Tandis que de baisers, dans une joie amère

Et sombre, je la couvre et sur mon cceur la serre,

Une étrange sueur me glace les cheveux,

La voix meurt dans ma gorge, et le jour dans mes yeux...

D’un tendre et long regard et d’un pâle sourire