Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/273

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leurs loisirs joyeux, tu te pris d’amour pour la charmante fille de Laban : invincible amour qui poussa ton âme vaillante à se soumettre volontairement aux longs exils, aux longues peines et au poids odieux de l’esclavage.

Il y eut certainement (et le chant méonien et le bruit de la renommée ne repaissent pas la foule avide d’une vaine erreur et d’une ombre), il y eut un temps où cette plage malheureuse fut douce et clémente à notre race, et notre âge qui tombe a été d’or. Non que des ruisseaux de lait pur arrosassent le flanc des roches naturelles, ou que le tigre se mêlât aux brebis dans une bergerie commune, ou que le pâtre guidât par jeu les loups à la fontaine : mais la race humaine vécut ignorante de son destin et de ses ennuis, exempte même d’ennui. Ce fut le règne de l’agréable erreur, des fictions et du léger voile antique qui était placé devant les secrètes lois du ciel et de la nature : et, contente d’espérer, notre nef paisible entra au port.

Telle, dans les vastes forêts de Californie, naît une race heureuse, à qui les pâles soucis ne sucent pas le cœur, dont la cruelle maladie ne dompte pas les membres. Les bois lui fournissent la nourriture ; le fond d’un rocher, des nids, la vallée humide, l’onde, et le jour de la sombre mort leur arrive inattendu. Ô royaumes de la sage nature sans armes contre notre audace scélérate ! Les ri-