Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/281

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vaient fait croire que tout autre désir était vain.

Ah ! comment ai-je été si différent de moi-même ? comment cet amour si grand me fut-il enlevé par un autre amour ? Ah ! combien en vérité nous sommes vains !

Seul mon cœur me plaisait : enseveli dans un perpétuel entretien avec mon cœur, je faisais bonne garde autour de ma douleur.

Le regard fixé sur le sol ou ramené au dedans de moi, je ne souffrais plus qu’il rencontrât, même fugitif et vague, un visage beau ou laid.

L’image immaculée et candide qui était peinte dans mon âme, je craignais de la troubler, comme le vent trouble l’onde d’un lac.

Et ce remords de n’avoir pas joui pleinement, qui alourdit l’âme et change en poison le plaisir qui est passé.

Pendant ces jours lointains me piquait au cœur à tout instant : la honte ne faisait pas encore sa dure morsure dans mon âme.

Au ciel et à vous, âmes nobles, je jure que aucun désir bas ne m’entra dans le cœur, que je brûlai d’un feu pur de toute souillure.

Ce feu vit encore, ma passion vit, et elle respira dans ma pensée la belle image de celle qui ne me donna jamais que des plaisirs célestes,

Et je m’en contente.