Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/230

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l’islandais.

Dès ma première jeunesse, tu dois le savoir, de courtes expériences me persuadèrent de la vanité de la vie et de la sottise des hommes : ils ne cessent de combattre les uns contre les autres pour acquérir des voluptés qui ne font pas plaisir et des biens qui ne servent à rien ; ils supportent et se procurent mutuellement des inquiétudes et des maux innombrables dont les effets nuisibles ne sont que trop réels ; enfin, ils s’éloignent d’autant plus de la félicité qu’ils la cherchent davantage. Pour ces motifs, quittant tout autre désir, je résolus de ne causer à personne aucun ennui, de ne chercher en rien à améliorer ma condition, de ne lutter avec autrui pour aucun bien du monde, et de vivre une vie obscure et tranquille ; désespérant du plaisir, comme d’une chose refusée à notre espèce, je ne me proposai qu’un but : me tenir loin de la souffrance. Je ne veux pas dire par là que je songeai à m’abstenir des occupations et des fatigues corporelles : tu sais quelle différence il y a entre la fatigue et l’ennui, entre une vie tranquille et une vie oisive. Dès que je commençai à mettre en œuvre cette résolution, j’éprouvai combien il est vain de penser, quand on vit parmi les hommes, qu’on pourra, en n’offensant personne, éviter d’être offensé par les autres, et qu’en cédant toujours spontanément et en se contentant