Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/231

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de la moindre part en toute chose, on obtiendra une place quelconque pour vivre, ou même la jouissance de cette moindre part. Mais je me délivrai aisément des importunités des hommes, en me séparant de leur société et en me retirant dans la solitude : on peut le faire facilement dans mon île natale. Cela fait, j’eus beau vivre sans aucune ombre de plaisir, je ne pus me mettre à l’abri de la souffrance : la longueur de l’hiver, l’intensité du froid, l’ardeur extrême de l’été, inconvénients naturels à ce pays-là, me tourmentaient continuellement, et le feu, près duquel il me fallait passer une grande partie du jour, me desséchait les chairs et me gâtait les yeux à cause de la fumée : ni au logis ni au dehors je ne pouvais me préserver d’un perpétuel malaise. Je ne pouvais pas même conserver cette tranquillité dévie, objet de mes désirs ; les tempêtes épouvantables de la mer et de la terre, les rugissements et les menaces du mont Hécla, la crainte des incendies très fréquents dans nos habitations, qui sont en bois, ne cessaient jamais de m’inquiéter. Ces désagréments d’une vie toujours conforme à elle-même et dépouillée de tout désir, de toute espérance, de tout souci, si ce n’est d’être tranquille, sont bien plus lourds à porter que quand la plus grande partie de notre âme est occupée par les pensées de la vie civile et par les tracas qui nous viennent des hommes. Je vis que plus je me resserrais, plus je