Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/232

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me contractais en moi-même, afin d’empêcher que mon être ne causât ni ennui ni dommage à aucune chose au monde, moins j’arrivais à me défendre des inquiétudes et des tribulations extérieures ; je résolus de changer de pays et de climat, pour voir si dans quelque partie de la terre je pouvais, en n’offensant pas, n’être pas offensé, et, en ne jouissant pas, ne pas souffrir. Une autre pensée me décida : peut-être n'avais-tu destiné au genre humain qu’un seul climat et que certains endroits de la terre, comme tu l’as fait pour chacun des autres genres d’animaux et de plantes ; peut-être les hommes ne peuvent-ils vivre ailleurs sans difficultés et sans misères : celles-ci doivent être imputées non pas à toi , mais à eux seuls, s’ils ont franchi les limites que tu as prescrites aux habitations humaines. J’ai parcouru le monde presque entier et j’ai fait l’épreuve de presque tous les climats, cherchant toujours, selon mon système, à ne donner aux autres créatures que le moins d’ennui possible et ne m’inquiétant que de ma tranquillité. Mais j’ai été brûlé par la chaleur dans les tropiques, ressaisi par le froid vers les pôles, éprouvé dans les climats tempérés par l’inconstance du ciel, et, en tous lieux, en butte à l’agitation des éléments. J’ai vu plusieurs endroits où un jour ne se passe pas sans orage : autant dire que chaque jour tu livres un assaut et une bataille en règle aux habitants de ces pays, qui ne sont coupables d’au-