Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/233

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cune injure envers toi. Ailleurs, la sérénité ordinaire du ciel est compensée par la fréquence des tremblements de terre, par la multitude et la fureur des volcans, par l’ébullition souterraine de tout le pays. Les vents et les tourbillons règnent dans les régions préservées des autres intempéries. Tantôt j’ai entendu, au-dessus de ma tête, crouler mon toit sous le faix de la neige ; tantôt, par l’abondance des pluies, la terre même s’est fendue et m’a manqué sous les pieds. D’autres fois, j’ai dû fuir de toutes mes forces les fleuves qui me poursuivaient, comme si j’étais coupable de quelque injure à leur égard. Beaucoup de bêtes sauvages, qui n’avaient pas reçu de moi la moindre offense, ont voulu me manger, et beaucoup de serpents m’empoisonner ; en divers endroits, peu s’en est fallu que des insectes ailés ne m’aient dévoré jusqu’aux os. Je ne parle pas des périls journaliers qui menacent l’homme en nombre infini : un philosophe antique ne voit pas de remède plus efficace contre la crainte que de considérer que tout est à craindre. Les infirmités même ne m’ont pas épargné, en dépit de ma tempérance ou plutôt de ma continence absolue en fait de plaisirs physiques. Je t’admire, en vérité : tu nous as donné une insatiable soif de plaisir ; sans ce plaisir, qui est son désir naturel, notre vie est imparfaite ; d’autre part, tu as voulu que l’usage du plaisir fût, de toutes les choses humaines, la plus nuisible à la force et