Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/234

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à la santé du corps, la plus désastreuse, la plus contraire à la durée même de la vie. Mais moi qui me suis abstenu de tout, je n’ai pu éviter un grand nombre de maladies qui m’ont mis en danger, les unes de mourir, les autres de perdre l’usage d’un membre et de vivre désormais encore plus misérablement ; toutes, pendant plusieurs jours ou plusieurs mois, m’ont accablé le corps et l’âme de mille souffrances. Chacun de nous éprouve dans la maladie des douleurs nouvelles et une souffrance plus grande, comme si la vie humaine n’était pas assez malheureuse dans son état habituel ; et pourtant tu n’as pas donné à l’homme, comme compensation, des moments de santé surabondante et extraordinaire qui soient pour lui une cause de jouissances exceptionnelles. Dans les pays couverts le plus souvent de neige, j’ai failli perdre la vue : ce qui arrive d’ordinaire aux Lapons dans leur patrie. Le soleil et l’air sont nécessaires à la vie, et, par conséquent, impossibles à éviter : ils nous persécutent continuellement, l’un par son humidité ou par sa rigueur, l’autre par sa chaleur et sa lumière même : l’homme ne peut jamais se tenir exposé à l’un ou à l’autre sans quelque incommodité plus ou moins grande. Enfin, je ne me souviens pas d’avoir passé un seul jour sans peine, et je ne puis compter les jours où je n’ai rencontré aucune ombre de jouissance. Je m’aperçois qu’il nous est aussi nécessaire de souffrir que de ne pas