Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/235

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jouir ; une quiétude quelconque est aussi impossible à trouver qu’une inquiétude exempte de misère. J’en conclus que tu es l’ennemie ouverte des hommes, des animaux et de toutes les créatures. Tu nous tends des pièges, tu nous menaces, tu nous assailles, tu nous piques, tu nous frappes, tu nous déchires, tu nous offenses, tu nous persécutes : par coutume et par dessein, tu es le bourreau de ta propre famille, de tes fils, de ton sang et de tes entrailles. Les hommes cessent de poursuivre celui qui les fuit ou qui se cache avec un vrai désir de les fuir et de se cacher ; toi, rien ne te détourne de nous fouler aux pieds ; aussi n’ai-je plus aucune espérance. Je me vois déjà proche du temps amer et lugubre de la vieillesse : voilà un mal véritable et manifeste, ou plutôt un amas de maux et de misères, et ce n’est pas un accident, c’est une nécessité assignée par toi à tous les vivants, prévue de chacun de nous dès son enfance, qui, dès le cinquième lustre, se prépare par une décadence affreuse et dont il ne peut mais ; à peine un tiers de la vie est consacré à fleurir, peu d’instants sont donnés pour la perfection, le reste est pour la décrépitude et son cortège de maux.

la nature.

T’imaginais-tu par hasard que le monde était fait pour vous ? Or, sache que dans mes œuvres, mes lois et mes opérations, sauf de rares excep-