Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/76

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d’une valse, tant s’est accrue jusqu’ici la puissance des alambics, des cornues et des machines, rivales du ciel, et tant elle s’accroîtra dans l’avenir : car de progrès en progrès vole et volera toujours sans fin la descendance de Sem, de Cham et de Japhet.

Cependant, le monde ne mangera certes pas de glands, si la faim ne l’y force : mais il ne déposera pas le fer cruel. Bien des fois il méprisera l’argent et l’or : il se contentera des billets de banque. Elle ne s’abstiendra pas désormais du sang chéri de ses frères, la race généreuse : elle couvrira de carnage et l’Europe et l’autre rive de l’océan Atlantique, cette jeune nourrice de la pure civilisation, chez qui une fatale question de poivre, de cannelle ou d’autre épice, ou bien de canne à sucre, ou tout ce qui se change en or, pousse toujours les bandes fraternelles à entrer en guerre les unes contre les autres. Le vrai mérite, la vertu, la modestie, la bonne foi, l’amour de la justice, seront toujours, dans tout État politique, à l’écart, étrangers aux affaires communes, injuriés et vaincus : parce que la Nature a voulu qu’en tout temps elles fussent au bas des choses. L’audace arrogante, la fraude et la médiocrité règnent toujours : leur destin est de surnager. Quiconque aura la puissance et la force, en abusera, qu’elles soient réunies en un seul ou divisées, dans quelque forme politique que ce soit. C’est la première loi que la Nature et le Destin aient écrite sur le diamant.