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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/182

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les hommes généreux. Quand deux fripons se trouvent ensemble pour la première fois, ils se reconnaissent aisément et comme par signes et s’accordent aussitôt, ou si leur intérêt s’oppose à cet accord, ils éprouvent certainement de l’inclination l’un pour l’autre et se tiennent en grande estime. Si un fripon fait des contrats et des affaires avec d’autres fripons, il arrive souvent qu’il se comporte loyalement et ne les trompe pas ; si c’est avec des gens honorables, il est impossible qu’il ne leur manque pas de parole et qu’il ne cherche pas à les ruiner à son profit, même si ce sont des personnes courageuses et capables de se venger : c’est qu’il espère de vaincre leur bravoure par ses ruses et cela lui arrive presque toujours. J’ai vu plusieurs fois des hommes très peureux, qui se trouvaient entre un coquin plus peureux qu’eux et un honnête homme plein de courage : ils embrassaient par peur le parti du coquin. C’est même presque toujours le cas des âmes ordinaires. En effet, les voies de l’homme courageux et honnête sont presque toujours les mêmes : celles du coquin sont cachées et infiniment variées. Or, comme chacun sait, ce qui est inconnu fait toujours plus de peur que ce qui est connu. On se garde aisément de la vengeance des personnes généreuses : la lâcheté même et la peur en préservent : mais il n’est point de peur ni de lâcheté qui puisse préserver des persécutions secrètes, des