pour laisser filer un simple et logique bâillement. Goujet, amoureux transi, est plus beau et plus bête que nature. Mais, à côté de ces deux personnages vagues et irréels, quelle vie, quel relief l’auteur a su donner à ses deux figures du premier plan : Coupeau, Gervaise, et aux personnages plus en arrière, mais qui demeurent devant les yeux, dans la mémoire, si nets, si vrais, si vivants, ceux-là ! Et quels magnifiques tableaux se déroulent, dans une clarté intense, de la première à l’ultime page de ce maître-livre ! Ce sont hors-d’œuvre, pour la plupart, mais ils sont toute l’œuvre, et constituent la plus magistrale des compositions. C’est d’abord l’impressionnante et si réelle descente du faubourg en éveil, à l’aube frissonnante. Comme un régiment qui part, les ouvriers, en marche pour le travail, vont par files, par pelotons, et voici la pause devant le comptoir, puis le morne et régulier défilé reprend. Le sombre Paris, le vieillard laborieux de Baudelaire, en se frottant les yeux, empoigne ses outils, cependant que le vent du matin souffle sur les lanternes. Zola a rivalisé, ici, avec le merveilleux aquafortiste du Crépuscule du Matin ; il l’a commenté, agrandi. Puis c’est la scène du lavoir, la lutte grotesque et tragique des deux femmes à la rivalité naissante, l’insulte suivie de la fessée, épisode plein de vie, de mouvement, de rumeur. La rencontre de Coupeau et de Gervaise devant le zinc du père Colombe, et la noce, où Mes-Bottes, Mme Lerat, les Lorilleux, la grande Clémence se trémoussent, pérorent, rigolent avec une alacrité donnant l’illusion de la vie et la sensation du déjà vu. D’autres morceaux suivent, d’une exécution aussi rigoureuse : c’est la blanchisserie, avec son odeur fade de linges
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