a goûté à cette sauce sans nom, où marinent et mijotent les os creusés par la carie, les épidermes que l’ulcère a rodés, les chairs où la sanie, pareille aux limaçons sur les vignes, traîne des baves blanchâtres. Une véritable sentine, cette cuvette aux miracles. « Un bouillon de cultures pour les microbes, un bain de bacilles », a dit Zola. On ne change pas souvent, en effet, le jus miraculeux, et des milliers de perclus et de variqueux, aux bobos coulants, de l’aube naissante à la nuit close, viennent y tremper leurs purulences. Il a pareillement décrit, avec la magnificence de son verbe, le paysage poétique et impressionnant, les processions qui se déroulent, avec des allures de figurations d’opéra, et l’enthousiasme des foules attendant, voulant le miracle. C’est un des livres les plus lyriques de ce grand poète en prose, un Chateaubriand incrédule, par conséquent plus fort, plus inspiré que l’illustre auteur du Génie du Christianisme, que sa croyance portait et dont la foi surexcitait le génie. La grotte de Lourdes, —ce retrait galant, où l’humble Bernadette surprit, en compagnie d’un officier de la garnison voisine, une dame aimable, laquelle, pour terrifier la bergère et lui ôter l’envie de raconter, ou même de comprendre le miracle tout physique qui était en train de s’accomplir sous ses yeux ébahis, s’imagina de se faire passer pour la Reine des cieux, —Zola toutefois a contesté cette anecdote, —peut servir à expliquer bien des miracles du passé. À cet égard, cette salle de spectacle religieux appartient à l’histoire, à la science, à la critique, donc au roman expérimental, comme l’entendait Zola. Le miracle et la superstition sont des phénomènes morbides, dont les ravages peuvent être comparés à ceux de l’alcoolisme, de l’industrialisme, de la débauche et de la guerre.
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