Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/433

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obtenu celui de plusieurs confrères, il n’était nullement question d’une campagne violente à entamer contre l’armée en général, encore moins de faire appel aux anti-militaristes. Bernard Lazare a certainement fait semblable démarche auprès de Zola, et lui a communiqué les documents. L’illustre romancier se laissa persuader. Les partisans de l’innocence de Dreyfus s’étaient, sans bruit, groupés et concertés. Des rumeurs se produisirent, des ballons d’essai furent lancés. On fit des sondages dans la presse. Un soir, au syndicat de l’Association des journalistes républicains, rue Vivienne, Ranc, notre président, nous dit, après la séance : « —Vous ne savez pas la nouvelle ? Eh bien ! Dreyfus est innocent ! Scheurer-Kestner en a la preuve ! On connaît le vrai coupable, celui qui a fabriqué le bordereau ayant entraîné la condamnation du capitaine. Scheurer-Kestner va porter l’affaire à la tribune, au Sénat… » On accueillait avec étonnement, mais sans grand enthousiasme, cette nouvelle, dans cette réunion de rédacteurs des principaux journaux républicains. Quand je la transmis, quelques instants après, à l’Écho de Paris, on la reçut avec incrédulité, et il fut convenu qu’on ne publierait cette information assez extraordinaire qu’après de plus amples renseignements. Quelques jours après, elle était confirmée. M. Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, écrivait une lettre mémorable, dans laquelle il exprimait sa conviction que le condamné expiait le crime d’un autre. Dès le 30 octobre, ajoutait-il, dans un entretien officiel avec le ministre de la Guerre, j’ai démontré, preuves en mains, que le bordereau attribué au capitaine Dreyfus n’est pas de lui, mais d’un autre.