Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/63

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rie et la naïveté des êtres longtemps reclus. Il se mouvait avec embarras parmi les hommes, ressemblant en cela à l’albatros, dépeint par le poète, qui, privé de l’espace et ne pouvant donner ses grands coups d’aile, se traîne gêné et timide sur le pont du navire où les hommes d’équipage raillent sa veulerie. Sur l’être humain, le milieu agit puissamment, autant et plus que l’hérédité et l’éducation. Le milieu de Blanqui ce fut un cachot. Il eut toujours l’allure comprimée, le geste ankylosé d’un détenu qu’on pousse brusquement au grand air, à la pleine lumière. Durant les courtes journées, où, entre deux séquestrations, il fut libre et put vivre la vie des autres hommes, il se trainait dans la ville, comme un prisonnier à l’heure du promenoir. Il attendait le signal de la rentrée en cellule. Paris lui semblait une pièce plus vaste que son cachot habituel, mais plus bruyante, plus incommode, où l’on pouvait difficilement penser et il regrettait intimement la liberté morale de la prison. Là seulement il se sentait vivre. Là, il se trouvait libéré des servitudes qui maintenaient les autres hommes enchaînés. Durant ces courts intervalles passés hors des geôles, Blanqui vivait volontairement de la vie cellulaire, ou à peu près, sortant peu, sauf lorsqu’il lui fallait paraître dans une réunion, présider un club ou diriger une émeute. Claquemuré chez un ami, ou dans un réduit dissimulé à tous, avec des livres et ses papiers, il méditait, écrivait et goûtait l’âpre joie de la solitude, du tête-à-tête avec son rêve, avec sa foi, comme un moine des temps de croyance, moderne anachorète de la Révolution dont une forteresse était la thébaïde. En prison seulement, il s’appartenait. Alors il semblait vivre sa vie. Enfermé, il se sentait un homme libre. Une légende mauvaise, reposant, comme toutes les légendes, sur un fond de vraisemblance, s’est perpétuée autour de cette individualité puissante. Une