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PAUL VERLAINE

tinée à être imprimée à des milliers d’exemplaires et à être mise sous les yeux du grand public. Le journalisme, même exclusivement littéraire, auquel s’attelèrent si tardivement, et non sans succès, plusieurs des camarades de Verlaine, comme Mendès, Coppée, Armand Silvestre, tous jusque-là chevauchant exclusivement le Pégase indépendant, glorieuse mais peu productive monture, exige des aptitudes particulières, des ponctualités d’esprit, des sélections de sujets, de la mesure dans l’expression, enfin toute une gymnastique de métier à laquelle Verlaine, irrégulier en tout, et vagabond de l’intellect aussi, ne pouvait ni s’accoutumer, ni même se livrer. Il fut, toute sa vie, le contraire de l’homme de lettres professionnel. Il n’eut ni le goût ni la technique de l’écrivain vivant de l’écriture, comme le prêtre de l’autel, comme l’avocat du tribunal, comme le menuisier de l’atelier. Virtuose amateur, observateur intermittent, rêveur fantaisiste, il portait des écrits comme l’églantier des roses sauvages. Il produisait des vers d’une sève capricieuse et personnelle, dans une poussée inconsciente et fatale. Il sécrétait la poésie qui gonflait en lui et montait tout à coup, sans se soucier d’en tirer parti ou profit. Il désirait être lu, mais le nombre des lecteurs ne le préoccupait guère. S’il publiait des recueils de vers, c’est parce qu’il était convenable d’être imprimé, parce qu’on ne peut distribuer à des confrères, à des critiques, à des maîtres, des poèmes manuscrits. Il fit imprimer à ses frais tous ses premiers volumes, et n’encaissa que bien peu d’argent des libraires, Lemerre, Palmé, Savine. Sauf chez Fasquelle et chez Vanier, dans ses dernières années, ses droits d’auteur furent nuls. La presse, si honnie des thuriféraires décadents et symbolistes, ayant créé autour du nom, de l’œuvre et de la vie