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Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/222

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intérieur, des enfants, une famille, pour asseoir sa vie sur des bases solides et fixer à tout jamais son existence. Or, ces motifs, qui sont à peu près exclusivement ceux de tous les hommes, jeunes ou vieux, recherchant le mariage, furent probablement aussi étrangers les uns que les autres à la décision brusque de Verlaine.

Il eut sans doute de l’amour pour la jeune fille dont la vue l’impressionna si vivement, et lui-même a raconté comment il subit le traditionnel coup de foudre, mais ce qui le détermina surtout à se marier, ce fut un sentiment d’humilité personnelle et d’infériorité sur le terrain amoureux, où il se sentait placé par la nature.

Son mariage, ou plutôt la décision un peu soudaine, extravagante, et ressemblant à une détermination téméraire, et parfois saugrenue, prise sous l’ivresse, tout à coup arrêtée, de demander (et à son demi-frère, un jeune homme sans autorité familiale) la main d’une jeune fille, entrevue quelques minutes, fut comme une protestation du poète contre l’injustice du hasard de la physionomie, comme un défi à la fatalité de la constitution physique.

Verlaine, faut-il le rappeler, était affligé d’une laideur intense. Vieilli, sa physionomie disgracieuse et bizarre, asymétrique, avec son crâne bossue et son nez camard, paraissait encore supportable. On la voyait briller de l’éclat de l’esprit, et auréolée du rayonnement du talent. On s’accoutumait à son masque faunesque, quand il riait, à son aspect sinistre, quand il gardait le sérieux. Ses traits heurtés, ses maxillaires proéminents aux zygômes saillants, son faciès rappelant la tête de mort classique, dégageaient une hideur spéciale, et qui, à certains égards, pouvait intéresser et même plaire. Mais, dans sa jeunesse, il était d’une laideur grotesque ; il res-