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LE MANOIR DE VILLERAI

Et les deux peureux, fascinés par une voix impérieuse, avancèrent en tremblant.

À vingt pas de la maison, le voyageur s’arrête, et d’un ton solennel :

— Restez ici ; ne bougez plus, attendez-moi, tout sera bientôt fini.

Alors il tire de sa poche un long couteau, et passe son pouce sur la lame, pour s’assurer qu’elle était bien aiguisée.

Il avance, il marche le plus légèrement possible : on eût dit qu’il ne portait pas sur la terre. Il arrête… penche la tête, regarde… rien. Il avance de nouveau, s’arrête encore…

— Qu’entends-je ? s’écrie-t-il.

Un bruit affreux se fait entendre, des cris, des blasphèmes, des miaulements, des hurlements, des gémissements, répétés par mille voix criardes, plaintives, infernales. Son sang se glace… il faiblit… Reprenant courage, il avance encore, et se trouve en face de la maison ; il se bouche les oreilles pour ne pas entendre le sabbat des démons. Une sueur froide comme celle de la mort coule de son front ; il s’appuie sur un vieil arbre. La lune jetait sur la maison une clarté douteuse ; mille fantômes effrayants se présentaient à son imagination…

Après deux minutes d’attente, il entend un bruit de pas ; il lève la tête, il regarde ses compagnons qui ne bougeaient pas. Il tourne la tête, et il aperçoit, à l’un des angles de la maison, quelque chose de noir, d’une forme singulière. Rassemblant toutes ses forces, il examine de nouveau son couteau, court, tête baissée, sur l’objet qu’il vient d’apercevoir, fait un grand signe de croix, et lance son couteau de toutes ses forces. Un bruit épouvantable se fait entendre dans la maison, et s’apaise aussitôt. Une voix crie : Minuit ! merci ! et en même temps un homme se précipite dans les bras de son sauveur.

— Ah ! Michel !

— Ah ! Jacques !

C’était un ami d’enfance, loup-garou depuis six ans, que notre voyageur venait de délivrer.

Quand Michel eut fini son conte, les incrédules, s’il y en avait, gardèrent prudemment en eux-mêmes leurs pensées