Depuis qu’on lui avait expliqué ce que c’était qu’un anthropopithèque[1], il exagérait la douceur et la timidité de ses manières, car, pour rien au monde, il n’eût voulu être confondu avec un de la race singe qui est si mal élevée. C’était déjà bien assez de passer, à cause de ses yeux bridés et de son nez légèrement épaté et de sa face aux larges méplats, pour un naturel d’Haï-Nan que le Dr Coriolis, qui avait été consul à Batavia, avait ramené de ses voyages et attaché à son service, en qualité de jardinier.
Balaoo mettait donc ses bottes. Comme il éprouvait quelque difficulté à y faire entrer ses mains postérieures (car Balaoo a beau dire, tout anthropopithèque qu’il est, il tient encore plus du singe que de l’homme, puisqu’il a quatre mains, ce qui est la caractéristique évidente du quadrumane), il poussait de légers soupirs, c’est-à-dire qu’il faisait entendre des grondements que les habitants de Saint-Martin-des-Bois avaient, plus d’une fois, pris pour des bruits précurseurs de l’orage.
Au surplus, c’était encore une de ses plus chères distractions que d’imiter, loin des hommes, et pour leur faire peur, avec sa voix retentissante et roulante, le tonnerre. Il se rappelait très bien avoir vu son père et sa mère procurer à toute la maisonnée, à ses petits frères, à ses petites sœurs, à sa vieille tante, et à lui-même,
- ↑ Du grec anthropos, homme, et pithekos, singe : animaux qui tiennent le milieu entre le singe et l’homme, et qui auraient été comme une transition de celui-là à celui-ci. Quelques savants, dont Gabriel de Mortillet principalement, ont relevé, dans les terrains tertiaires, la trace et les débris fossiles de ces animaux intelligents, et aussi la preuve de leur intelligence. D’autres, sur la foi des récits de voyageurs, affirment que cette espèce de singe existe encore et qu’on peut en retrouver quelques spécimens au fond des forêts de Java. De Dr Coriolis n’a pas été le seul à aller les chercher jusque-là.