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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

des affaires de l’usine, mais je ne l’écoutais plus… Nous arrivâmes à Paris et suivîmes le programme qu’il avait tracé, de point en point. Après l’avoir quitté sur le quai de la gare d’Orsay, j’allai l’attendre à la gare d’Austerlitz. Je ne pensais plus. J’agissais mécaniquement. J’étais abruti.

« Je le vis bientôt apparaître. Il vint se placer à côté de moi et nous voilà repartis dans le petit jour commençant. Il me fit faire un détour immense, nous nous trouvâmes dans la forêt. Je devais le laisser non loin de Ris-Orangis. De plus en plus j’étais atterré… vraiment anéanti… je me demandais comment je ferais pour vous annoncer la chose en rentrant… je vous voyais… je vous entendais… je vous devinais… je savais que s’il n’y avait pas eu le petit Jacques, vous seriez partie depuis longtemps… et André ne me parlait plus que de ses affaires, m’entretenait des commandes qui étaient arrivées la veille, de certaines circulaires à expédier aux succursales de province… J’étais déjà redevenu l’employé. Il ne s’agissait plus de me mettre à la tête de l’usine… Enfin, il me dit :

« — Gardez en ce moment votre appartement de Héron… je crois que tout finira par s’arranger… j’ai eu tort de m’affoler !

« Bref, tout s’écroulait autour de moi… et je conduisais la voiture à une allure vertigineuse comme si j’eusse voulu créer une catastrophe qui, celle-là, eût tout terminé.

« Une haine soudaine, terrible, montait en moi contre cet homme qui ne se doutait point du désespoir où son irrésolution m’avait réduit…