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LE RÉCIT DE CAÏN
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« — Mais tu vas nous tuer ! s’écria-t-il tout à coup, en s’apercevant enfin de la marche insensée de la voiture, et il me mit la main sur le bras, car un tronc d’arbre encombrait le chemin. Pour l’éviter, je donnai un coup brusque au volant. Nous fîmes une embardée effrayante ; je rétablis cependant l’équilibre, mais au même instant, un pneu crevait.

« Il jura et nous nous mîmes hâtivement à la besogne. Quand je me relevai, André était encore à genoux sur la route, la tête penchée sur l’essieu, considérant de près la roue amovible. J’avais à la main, moi, la lourde manivelle dont on se sert dans ces occasions.

« Que s’est-il passé en moi ?… Je pensais à vous… Je ne pensais pas à tuer cet homme… du moins je n’y pensais pas une seconde auparavant… Ce fut plus fort que moi. Je frappai à la tempe, un coup terrible.

« Vous entendez ? À la tempe !… et vous pouvez mesurer l’émotion dont je fus saisi en entendant, l’autre soir, cette folle de Marthe parler de la blessure à la tempe de son fantôme !… Une blessure qui saignait toujours depuis cinq ans !… C’est ce qui me rassura et je songeai avec sang-froid que dans toutes les histoires d’imagination, dans les contes populaires comme certainement dans la propre imagination de cette malheureuse, les assassinés apparaissent plus facilement frappés à la tempe !… C’est la blessure classique, surtout si elle doit continuer à saigner pendant des années sur la figure d’un fantôme, d’un fantôme… qui traîne derrière lui, en marchant, un bruit de