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Page:Leroux - L’Homme qui revient de loin.djvu/266

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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

morts resta dans sa gorge contractée ; et, après avoir reculé en chancelant comme si elle avait subi un choc dont la violence l’eût étourdie, elle tourna sur elle-même et s’enfuit, éperdue.

Elle traversa d’abord le petit bois de trembles, remonta en courant dans la boulaie, et courut, courut encore quand elle eut atteint la lisière de la forêt. Elle n’osait se retourner pour savoir si elle était suivie par la terrible apparition, et, cependant, il lui semblait parfois entendre derrière elle le bruit fantastique des chaînes secouées…

Un instant, elle dut s’arrêter, s’appuyer au tronc d’un arbre pour y reposer — un instant, un instant — tout son pauvre corps haletant, tout son être misérable en déroute…

Mais elle repartit aussitôt, plus folle que jamais dans sa fuite, et telle qu’une bête traquée par les chiens, car elle avait entendu près d’elle, derrière elle, autour d’elle, les chaînes, les chaînes qui sautaient, grinçaient, tintinnabulaient au pied des morts !…

Et quand elle arriva tout en haut du plateau, au coin du mur du parc, elle eut encore un sursaut de terreur, car le chemin était traversé par une forme étrange qui faisait des gestes immenses sous la lune…

Cependant, ce fut cette forme-là qui la ramena des limites de la folie. Elle reconnut Prosper le bancal, qui agitait sa béquille.

Elle l’appela, heureuse de se trouver en face d’un corps vivant… de quelqu’un qui n’était pas encore allé chez les morts !…