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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

Elle eût voulu qu’il se réveillât. Elle eût voulu ne pas être seule. Elle eût voulu ne pas penser, elle avait peur.

Et elle ne savait pas de quoi !…

Les heures lui avaient paru interminables. Que faisait donc Jacques ?… Pourquoi n’était-il pas déjà revenu ?… Elle calculait. Il aurait pu être de retour depuis une demi-heure, au moins !…

Le front à la vitre, l’oreille tendue, le regard aigu, elle avait assisté, frissonnante, au lever de la pâle aurore d’un jour humide d’automne tout emmitouflé des buées matinales.

Et, soudain, elle avait tressailli, car elle avait vu sortir de cette vapeur l’étrange figure, bien connue dans la contrée pour jeter le mauvais sort, du sourd-muet Prosper, un pauvre homme qui vivait en reclus dans la forêt, au fond d’un trou de grotte dont il avait fait sa demeure. Bancal, il se traînait sur des béquilles, faisant des kilomètres pour rencontrer quelqu’un qui ne s’enfuît pas à sa vue comme devant la peste et voulût bien lui abandonner quelque aumône. Il se risquait quelquefois jusqu’à Héron, jusqu’à la Roseraie, où la charité d’André et de Jacques lui permettait d’aller mendier aux cuisines.

Bien qu’elle ne fût nullement superstitieuse, Fanny, ce matin-là, était dans un état d’esprit tel qu’il lui sembla que du bout de sa béquille qu’il agitait comme un possédé, Prosper lui envoyait du malheur.

Et l’angoisse de la jeune femme n’aurait certainement fait que grandir si l’auto n’était