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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

Le vieux mari, tout en ne cessant de tourner autour de Fanny et en serrant les mains qui se tendaient vers lui (car il avait obligé beaucoup de ceux qui étaient là), expliquait :

« Ah ! chère madame, vous ferez bien de la gronder. Un accès de neurasthénie aiguë… qui a duré cinq ans ! Hein ? qu’est-ce que vous dites de ça ?… Ne plus vouloir voir personne, depuis cinq ans… ne plus sortir pendant des mois, à faire croire que je la tenais séquestrée… s’accorder quelques promenades, le soir, le long de la rive déserte, comme une âme en peine… et je lui donne tout ce qu’elle désire, vous savez !… elle fait de moi tout ce qu’elle veut, parole d’honneur !… A-t-on jamais vu ça ?… Elle se laisse « périr » littéralement. Et savez-vous ce que les médecins disent : « Neurasthénie… neurasthénie !… » Qu’est-ce que ça signifie : neurasthénie ?… ça veut dire maladie. Eh bien, puisque vous êtes docteur, monsieur, guérissez-la, saprelotte !… Il doit y avoir des remèdes chez le pharmacien !

— La neurasthénie est une maladie de l’âme ! émit le Dr Moutier.

— Des blagues ! tout ça, répliqua l’autre. Et c’est avec ces blagues-là que vous donnez la maladie aux gens bien portants… Quand les médecins n’avaient pas inventé la neurasthénie, personne ne l’avait ! »

On rit, mais déjà le singulier petit vieux s’était tourné vers une grande, longue vieille demoiselle, à profil d’oiseau de proie, mais aux yeux bleus très tendres, qui venait d’en-