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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

défend pas. Marceline non plus. Cependant, elle s’endort en pensant à Adolphe, mais elle a dans sa main la main de Théophraste. Celui-ci, vaguement, songe aux drames mystérieux qui sont enfermés dans les ténèbres ; il se dit que Cartouche, lui, n’avait pas peur, et il envie le courage de Cartouche.

… Il s’amuse encore à fermer les yeux avec force, et à rouvrir ses paupières dans la nuit, ce qui fait qu’il aperçoit une grande quantité de cercles bleus, verts, violets qui s’agrandissent, s’éloignent, s’arrêtent soudain et s’envolent rapidement, et d’autres cercles multicolores apparaissent encore, pour s’évanouir à nouveau. Puis, ce ne sont plus des cercles, ce sont, — bel et bien — des figures, avec des yeux, des nez, des bouches et des bonnets de coton… Il voudrait fermer les yeux pour ne plus voir ces figures, ces visages fantastiques, mais il s’aperçoit que ses yeux sont fermés. C’est drôle ! oh ! tout à fait incroyablement drôle ! Pour voir des figures dans la nuit, il faut fermer les yeux… Il dort. Il ronfle.

La nuit. Pas une voiture dans la rue. Silence. Le ronflement de Théophraste a cessé. Est-ce que M. Longuet dort toujours ? Non, il ne dort plus. Il a la gorge sèche ; il ouvre, dans les ténèbres, des yeux d’effroi ; il appuie sa main froide, sa main que glace la peur, sur la cuisse chaude de son épouse. Il la réveille et il dit, mais si bas, si bas qu’il est le seul à savoir qu’il parle :

— Entends-tu ?

Marceline ne respire plus. Ils se serrent la main sous le drap, sans le remuer. Ils « tendent l’oreille ». En effet, on entend quelque chose… dans l’appartement.

Vraiment, vraiment, il ne faut pas rire. Celui qui rit du bruit inexpliqué, la nuit, dans l’appartement, celui-là n’est pas encore né ! Oh ! il y a des gens très braves, tout à fait extrêmement braves, et que rien n’arrête, et qui