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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

R. Le médecin et le chirurgien se penchent sur moi et me tâtent les poignets. Ils se félicitent d’avoir choisi ce genre de torture qui est, disent-ils aux commissaires, le moins dangereux pour la vie et le moins susceptible d’accidents. « Il n’y a rien au-dessus, proclament-ils, que la question des brodequins pour prolonger et pour rendre plus sensibles les douleurs, sans hasarder que le condamné succombe sous leur violence ou qu’il perde la connaissance et le sentiment[1]. »

D. Et maintenant, qu’est-ce qu’on te fait, Cartouche ?

R. Mais on ne me fait rien. Et je le regrette ! car on a décidé de ne m’enfoncer le second coin qu’une demi-heure après le premier, pour laisser passer l’engourdissement que produit ordinairement la ligature et pour que la sensibilité fût tout entière. Je regarde mes juges, ils ont des gueules noires ! J’aime mieux la figure du bourreau. Ça ne l’amuse pas plus que moi. Il voudrait être ailleurs et moi aussi. Mais le voilà qui revient avec le second coin. Ils sont tous autour de moi, ils sont sur moi…

… Aaaaaaaaaaaaaah !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Jamais, raconte M. Lecamus, jamais la bouche de Théophraste ne m’avait paru aussi grande Dans son visage, il n’y avait plus qu’une bouche, une bouche qui ne remuait pas le bout de la langue, et cet abîme tumultueux qu’était cette bouche débordait avec fracas de ce « aaaaaaaaah ! » qui, telle une lave bouillonnante, en brûlait les bords ! En effet, nous pûmes constater que les lèvres éclataient ! C’était là, hélas ! un des moindres phénomènes que nous étions appelés à constater relativement à la douleur que Théophraste ressentait de la

  1. Phrase historique.