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LA DERNIÈRE POIGNÉE DE MAIN DE CARTOUCHE

bien conservés et tout secs ; mais d’autres ne sont pas présentables : ils tombent en ruine. Je serai bientôt une ruine comme eux. Cependant, cependant, tout n’est pas dit, tout n’est pas fini ; puisque je suis, l’espérance n’est pas morte. On retrouve l’espérance même au fond d’un charnier. Ah ! si je pouvais remuer ? Les morts remuent ; je finirai bien aussi par remuer. J’ai tourné les yeux le plus qu’il m’était possible dans le coin droit de l’orbite et j’ai vu que le mort qui est sur mon ventre et qui remue n’a pas de tête. Il glisse sur mon ventre. Je recommence à avoir peur, non pas parce que le mort remue, car les charniers appartiennent aux morts, qui y font ce qu’ils veulent, mais parce que l’on tire ce mort par les jambes. J’ai retourné mes yeux dans l’autre coin, dans le coin gauche de l’orbite, et j’ai vu une jambe du mort en l’air. Cette jambe doit être tenue par quelque chose, tirée par quelque chose. La lune monte le long du mur avec la jambe jusqu’à un trou. Et mes yeux

    hauteur et à leur sommet, de grosses poutres de bois qui traversaient de l’un à l’autre et supportaient des chaînes de fer d’un mètre cinquante de longueur. Contre les piliers étaient toujours dressées de longues échelles destinées à monter le patient au gibet. Au milieu de la masse sur laquelle se trouvaient les piliers était une cave destinée à recevoir les corps des suppliciés qui devaient y rester jusqu’à destruction entière des squelettes. C’est dans ce charnier que les magiciens venaient chercher les cadavres dont ils avaient besoin (Sauval). Le cadavre de Coligny fut pendu à Montfaucon par les cuisses avec des chaînes de fer, puis on y pendit encore son mannequin de paille avec un cure-dent à la bouche.

    On continua à exposer ainsi les corps jusqu’en 1630. Y furent exposés encore tous ceux qui moururent en duel malgré les édits. Vingt années plus tard, du temps de Sauval (1650), le gibet lui-même était délaissé, mais le charnier continua longtemps encore à être en honneur. Ce n’est qu’en 1760 quarante années après les événements qui nous occupent, que le gibet fut détruit et la fosse comblée, et la grande justice du roy transportée, comme nous l’avons dit, à un nouveau Montfaucon, près la rue actuelle Secrétan.