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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

regardent tellement à gauche qu’ils voient une main vivante. La main vivante, qui sort du trou, tire le pied mort. Je sens, je sais qu’il y a dans la fosse à côté une femme qui mange[1]

» Et maintenant, mes yeux ne quittent plus le trou, dans la terreur de voir revenir la main vivante, de voir s’allonger vers moi la main vivante… Mais j’espère, j’espère sur mon salut, que la main ne sera pas assez longue… La lune soudain cesse d’éclairer le trou, et mes yeux se tournent vers la grille par où la lune est entrée. Alors, je vois, entre la lune et moi, sur les marches du charnier, un homme ! Un homme vivant ! Je suis peut-être sauvé ! Je voudrais crier de joie et j’aurais peut-être crié, si l’horreur de ce que je sens tout à coup, de ce que je sais, ne m’avait soudain bouché la gorge. Je sens, je sais que cet homme est venu là, pour me voler mes os !… à cause de la courtisane Émilie !… Le régent s’est souvenu du duc d’Orléans et de Jean sans Peur[2] !…

  1. On enterrait aussi sous le gibet de Montfaucon des personnes toutes vives. Quelques-unes de ces sinistres exécutions sont restées historiques. Jeannette la Bonne Valette et Marion Bonnecoste, Ermine Valancienne et Louise Chaussier subirent ce supplice pour leurs « démérites » et furent enfouies dans une fosse de sept pieds de long. L’une des plus célèbres de ces malheureuses, Perrette Mauger, voleuse et recéleuse de profession, fut condamnée par Robert d’Estouville, prévôt de Paris, « à souffrir mort et à être enfouye toute vive devant le gibet. Elle dit qu’elle était grosse. Fut visitée par ventrières et matrones qui rapportèrent à la justice qu’elle n’était point grosse. Elle fut alors enfouye comme avait été dict. » (Sauval.)
  2. Au commencement du dix-huitième siècle, comme au quatorzième, comme encore maintenant, on pratiquait l’envoûtement qui vient d’apparaître comme une chose moins inoffensive qu’on ne l’avait cru, depuis les expériences de M. de Rochas sur l’extériorisation de la sensibilité. L’envoûtement primitif consistait dans la fabrication d’une image en limon, quelquefois en cire, fabriquée à la ressemblance de la personne à qui l’on voulait