Il se contentait de dire tous les jours, en s’en allant, en manière de plaisanterie :
— Vous tuez tous les jours un veau ; vous devriez vous méfier, mon cher monsieur Houdry, vous verrez que ça finira par se savoir chez les veaux !
Théophraste n’était pas paresseux. Un jour que le jeune néophyte qui aidait M. Houdry à attacher le veau s’était attardé à quelque flânerie, il attacha lui-même la patte de derrière du veau, cependant qu’avec ses longes M. Houdry attachait les deux pattes de devant au même étout. Une patte restait libre ; c’était la manière. M. Houdry s’approcha de la gorge du veau avec le « saigneur ».
— Dire, fit-il avec mépris, dire qu’il y en a qui les assomment ? Ça marque toujours la tête.
— Évidemment ! confirma Théophraste. Quand on assomme, ça doit marquer la tête.
— Il se forme un dépôt de sang ! C’est un crime !…
— Oui, oui ! c’est un crime ! On ne tue pas une bête en lui fichant un dépôt de sang !…
— Tenez ! avec le « saigneur », il ne faut qu’un coup et un cou ! Ah ! ah ! un coup et un cou ! Ah ! ah ! comme cela !…
— Ah ! ah ! comme cela ! Ah ! ah !
— Le rabbin ne ferait pas mieux. On dirait que j’ai été boucher chez les juifs !… Ah ! ah !
— Ah ! ah !… Ah ! ah !… le sang pisse ! Regardez les yeux du veau pendant que le sang pisse ! dit Théophraste.
— Qu’est-ce qu’ils ont, les yeux du veau ? demanda M. Houdry ; c’est des yeux comme tout le monde.
— Regardez les yeux du veau qui vous regardent !
— Ses yeux sont morts !
— Ils sont morts, mais ils vous regardent !