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Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/31

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OÙ L’ON POURRAIT CROIRE…

prison, comme je serais allé acheter une cravate au Louvre. Je voulais m’instruire, voilà tout. J’ai maintenant des loisirs, puisque nous avons vendu notre fonds. Je me suis dit : « Faisons comme les Anglais, visitons Paris. » Et le hasard voulut que nous débutâmes par la Conciergerie.

» Je le regrette bien.

» Est-ce que je le regrette vraiment ? Je ne sais. Je ne sais plus rien. Je ne me rends plus compte de rien. En ce moment, je suis très calme. Et je vais vous raconter ce dont je me souviens, comme si la chose était arrivée à un autre. Tout de même, quelle histoire !

» Tant que nous fûmes dans les tours, il ne se passa rien qui vaille la peine d’être rapporté ici. Je me rappelle que, me trouvant dans la tour Bon Bec, je me disais : « Eh quoi ! c’est ici, dans cette petite salle qui a l’air d’une épicerie, qu’il y eut tant de douleurs et que furent martyrisées tant d’illustres victimes ! » J’essayai honnêtement de me représenter l’horreur de ces lieux quand le bourreau et ses aides s’approchaient des prisonniers avec leurs monstrueux engins, dans le dessein de leur faire avouer des crimes intéressant l’État. Mais, à cause justement des petites étiquettes des tiroirs sur lesquelles on lisait : « séné, houblon », je n’y parvenais pas.

» La tour Bon Bec ! On l’appelait aussi la « Bavarde », à cause des cris horribles qui s’en échappaient et qui allaient troubler sur le quai le passant inoffensif qui hâtait le pas, tout frissonnant encore d’avoir entendu la justice du roi.

» Maintenant, elle était bien paisible et toute silencieuse, la tour Bon Bec. Je ne m’en plaindrai point : c’est le progrès.

» Mais quand nous pénétrâmes dans cette partie de