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OÙ L’ON POURRAIT CROIRE…

d’aucun effort. Ce qui n’aurait pas été naturel, c’est que ça ne m’arrivât pas.

» Je me souviens que je me suis trouvé, au bas d’un escalier, debout devant une grille. J’étais doué d’une force surhumaine ; je secouai la grille et je criai : « Par ici ! » Les autres, qui ne savaient pas, tardaient à venir et se trompaient de chemin. Je ne sais pas ce que j’aurais fait de la grille, si le gardien ne me l’avait ouverte ; je ne sais pas non plus ce que j’aurais fait du gardien. J’étais fou. Non, je n’ai pas le droit de dire cela. Je n’étais pas fou ; et c’est un grand malheur. C’est pire que si j’eusse été fou.

» Certes, j’étais dans une grande surexcitation nerveuse, mais je jouissais d’une entière lucidité. Je crois que je n’ai jamais vu aussi clair, et cependant j’étais dans les ténèbres ; je crois que je ne me suis jamais mieux souvenu, et cependant j’étais dans des lieux que je ne connaissais pas. Mon Dieu ! je ne les connaissais pas et je les reconnaissais ! Je n’hésitais pas sur mon chemin ; mes mains tâtonnantes retrouvaient des pierres qu’elles allaient chercher dans la nuit et mes pieds foulaient un sol qui ne pouvait m’être étranger.

» Qui pourra jamais dire l’antiquité de ce sol ; qui pourra vous apprendre l’âge de ces pierres ? Moi-même je ne le sais pas. On parle de l’origine du Palais ? Qu’est-ce que l’origine du vieux palais des Francs ? On pourrait peut-être dire quand ces pierres finiront, mais nul ne dira jamais quand elles ont commencé. Et elles sont oubliées, ces pierres, dans la nuit millénaire des Caves. L’étrange est que je m’en sois ressouvenu.

» Je glissais le long des parois humides, comme si ce chemin m’était coutumier ; j’attendais certaines aspérités de la muraille et elles venaient au bout de mes ongles ; je comptais les joints des pierres et je savais