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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

qu’au bout de ce compte je n’aurais qu’à me retourner pour apercevoir au lointain d’une galerie un rayon que le soleil y a oublié depuis le commencement de l’Histoire de France. Je me retournai et je vis le rayon, et je sentis, à grands coup, battre mon cœur du fond des siècles. »

Ici, dans le manuscrit, le récit est momentanément interrompu. M. Longuet explique qu’il se passe en lui, quand il revit cette heure inouïe de la Conciergerie, des choses qui l’agitent, qui le font souffrir. Difficilement, il reste maître de sa pensée. Il a une peine très grande à la suivre. Elle court devant lui comme un cheval emballé dont il aurait lâché les rênes. Elle le dépasse, bondit, s’enfuit en laissant sur le papier des traces de son passage qui sont des mots tellement profonds, dit-il, que « lorsqu’il regarde dedans il a le vertige. »

Et il ajoute, non sans épouvante :

« Il faut s’arrêter au bord de ces mots, comme on s’arrête au bord d’un précipice. »

Et il reprend la plume d’une main fiévreuse, continuant à s’enfoncer dans les galeries souterraines :

« Et la Bavarde, la voilà ! Voilà les murs qui ont entendu. Ce n’est point là-haut, dans le grand soleil, que la Bavarde parlait, c’est ici, dans cette nuit de la terre ! Voilà des anneaux aux murs. Est-ce l’anneau de Ravaillac ? Je ne me rappelle plus.

» Mais vers le rayon, vers l’unique rayon éternel et immobile comme ces immobiles murailles, vers le rayon blême et carré qui, depuis le commencement des âges, a pris et gardé la forme du soupirail, je m’avance, je m’avance avec une hâte certaine, pendant que la fièvre me consume, flambe et enivre mon cerveau. Mes pieds soudain s’arrêtent, mais si brutalement que l’on pourrait les croire tirés par des mains invisibles qui eussent surgi du sol, et mes doigts courent, glissent le long de