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LA CHANSON

Théophraste, triomphalement, reprit ces deux derniers vers et prolongea sa dernière note en regardant le soleil qui disparaissait, dans une gloire, à l’horizon restreint des coteaux. Le chanteur, d’une main, tenait son « palpitant » ; de l’autre, il « embrassait la nature ».


Pitanchons pivois chenâtre
Jusques au luisant !


Il se rassit, content de lui, en disant à Marceline :

Qu’est-ce que tu penses de ça, Marie-Antoinette ?

Au milieu du silence de mort de tous les assistants, Marceline demanda, toute tremblante :

— Pourquoi m’appelles-tu Marie-Antoinette ?

— Parce que tu es la plus belle de toutes, s’écria Théophraste dans une grande exaltation. J’en appelle à Mme  la maréchale de Boufflers qui a du goût ! J’en appelle à vous tous ! Et il n’y en a pas un, par la gorge du pape, qui me démentira, ni le Gros-Picard, ni le Bourbonnais, ni le Bourguignon, ni la Tête-de-Mouton, ni le Craqueur, ni le Parisien, ni le Provincial, ni le Petit-Breton, ni la Plûme, ni Patapon, ni la Canette, ni la Porte-Saint-Jacques, ni Gâtelard, ni Bras-de-Fer, ni Gueule-Noire, ni même Bel-à-Voir !

Comme Théophraste avait à sa droite la vieille Mlle  Taburet, il lui pinça le genou, ce qui fit que cette honorable personne crut qu’elle allait s’évanouir.

Personne n’osait bouger, car le regard ardent de Théophraste épouvantait la société. Et celui-ci, penché amoureusement vers Mlle  Taburet, lui disait, en fixant Marceline qui se prit à pleurer :

— Voyons, mademoiselle Taburet, n’ai-je pas raison ? Qui pourrait-on lui comparer ? Est-ce la Belle-Laitière, ou la Petite-Mion ? ou même la Blanche, cette anquilleuse ? ou la Belle-Hélène qui tient le cabaret de la Harpe ?