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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

Il se tourna vers Adolphe :

— Allons, toi, Va-de-Bon-Cœur, dit-il avec une énergie effrayante, tu vas me dire ton avis. Regarde un peu Marie-Antoinette ! Par le Veau-qui-tette, elle les met toutes dans un sac : et Jeanneton-Vénus, la bouquetière du Palais-Royal ; et Marie Leroy, et la femme Salomon, la belle limonadière du Temple ; et Jeanne Bonnefoy, qui vient de se marier à Veunier, qui tient le café du Pont-Marie. À toutes, à toutes : la Tapedru, Manon de Versailles, la Grosse-Poulaillière, la Platine, la Vache-à-Paniers, et la Bastille !…

Théophraste, d’un bond, fut sur la table et la vaisselle se brisa en mille éclats. Il tenait une coupe, il cria : « Je bois à la reine des nymphes ! à Marie-Antoinette Néron ! » Puis il broya le verre entre ses mains qui furent ensanglantées et salua la société.

Mais celle-ci s’était enfuie…

Un esprit superficiel pourrait juger, d’après les événements que nous venons de relater, que Théophraste était subitement devenu fou. Voici quelque chose qui est bientôt dit : « Cet homme est fou ! » Avec cette phrase rapide, on explique tout ce qui ne tombe point sous le sens commun ; cependant, le sens commun n’est pas tout le sens. Nous y reviendrons, mais dans le cas qui nous occupe, nous ajoutons qu’il n’est point besoin d’un sens exceptionnel pour affirmer que Théophraste n’était pas fou.

Ce n’est pas parce qu’on devient subitement fou qu’on peut chanter une chanson que l’on n’a pas apprise et parler couramment une langue que l’on ne connaît pas.

C’était bien le cas de Théophraste et l’expérience scientifique moderne établit avec des exemples indiscutables que ce cas est loin d’être unique. On a vu des sujets, des sujets frustes, ne sachant ni lire ni écrire,