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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/70

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GASTON LEROUX

d’avoir été débarrassée d’un danger pressant par le geste héroïque d’un époux ; si le bandit n’y a point succombé, elle peut s’imaginer que la main de M. Flottard, à l’instant suprême, a tremblé, où quelque chose d’approchant, que le couteau a frappé de travers, par exemple, et est resté accroché dans la fourrure du paletot dont l’épaisseur aurait si bien amorti le choc que le voleur de châle ne s’en serait même pas aperçu !… Oui, Mme Flottard, elle, peut s’imaginer tout, excepté la vérité ! Mais celui qui a accompli le geste, lui, il sait ! Il sait que son couteau est entré dans l’homme, comme dans du beurre, jusqu’au manche, et que l’homme ne s’en est pas plus préoccupé que d’une piqûre de moustique !

Là-dessus est entré M. Durantin, maraîcher, qu’a suivi de près le petit Gustave, clerc d’huissier, qui venait prendre l’apéritif chez le bonhomme Flottard, où il avait donné rendez-vous à son ami Elias, potard chez M. Arago, pharmacien, et l’ami Elias lui-même n’a pas tardé à arriver… Enfin est survenu le joyeux père Canard, plus ou moins ouvrier électricien, vitrier, cireur de parquets, peintre d’enseignes, enfin l’homme à tout faire, c’est-à-dire passant le plus souvent son temps à ne rien faire du tout qu’à « blaguer » et à se faire offrir « des tournées » sur les comptoirs. On pense ce que pouvait devenir, avec un homme pareil, l’histoire du couteau tout neuf de Châtellerault qu’un voyageur venait d’emporter dans son dos, planté jusqu’au manche !…

Les premiers arrivés avaient été réellement effrayés de l’état dans lequel ils avaient trouvé M. et Mme Flottard, et le peu qu’ils avaient compris des quelques mots arrachés à leur émoi avait augmenté chez eux la conviction que le gentilhomme cabaretier et son épouse venaient d’échapper à un malheur épouvantable… Mais quand, pressé par le père Canard, qui ne demandait comme toujours « qu’à rigoler », M. Flottard, retrouvant enfin son souffle et le cours de ses idées, eut quelque peu précisé les conditions exceptionnelles de l’incroyable