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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/206

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LA POUPÉE SANGLANTE

Celle-ci fit son « mea culpa ». Son grand tort avait été d’avoir pitié d’un être particulièrement disgracié de la nature et qui, à cause de cette infortune même, lui avait paru intéressant. La misanthropie du relieur d’art de l’Île-Saint-Louis, sa sauvagerie, ses extravagances, la sombre poésie de ses élucubrations, son langage tantôt enthousiaste jusqu’au plus désordonné lyrisme, tantôt brutal comme celui d’un portefaix : elle avait mis tout cela sur le compte d’une laideur qui isolait. Bénédict Masson de l’humanité. Elle s’était penchée sur cette douleur, elle s’était heurtée à un bourreau !…

Quand la porte du chalet de Corbillères s’était ouverte, elle avait eu en face d’elle une espèce de fou, couvert de sang comme un garçon d’abattoir et qui finissait de lancer dans les flammes les restes déchiquetés d’un corps humain !… Et puis elle ne se rappelait plus rien ! Elle se demandait seulement comment elle n’était point morte de cette vision exécrable !…

— Assurément ! soupira Bénédict Masson quand on lui rapporta les termes de cette déposition, assurément, la pauvre enfant n’a pas été gâtée !… Elle ne méritait pas ça !…

— Misérable ! ne put s’empêcher de lui répliquer le juge, vous prévoyiez qu’elle pouvait vous surprendre au milieu de vos forfaits, quand vous lui défendiez de venir vous voir à Corbillères-les-Eaux…

— Non, monsieur le juge, non, je ne prévoyais point « mes forfaits », pour parler, comme vous, un langage dont la noblesse ne se rencontre plus guère que dans les tragédies classiques !… Si je n’invitais pas Mlle Norbert à faire un petit tour à Corbillères-les-Eaux… c’est que le paysage n’y est pas joli, joli !…