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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/141

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LA CHANSON DE LA MARITZA

fait pour épargner Gaulow depuis qu’il était en sa possession… Elle agissait tour à tour comme si elle le haïssait… et comme si… par instant… elle ne pouvait se défendre d’en avoir pitié… Gaulow était si beau ! Dans le moment elle lui en voulait peut-être de cette beauté-là !… Et, de rage contre lui et contre… elle-même… pensait Rouletabille, elle allait… atrocement, le tuer…

Hébété, quasi anéanti devant le mystère grandissant d’Ivana, il fixait stupidement le vaste paysage désolé, les rocs sauvages, les monts dénudés, toute cette terre tourmentée et balayée par les éternelles eaux du ciel…

Sur un coin de cette terre-là allait peut-être apparaître l’espoir ! ce Et voilà qu’il ne s’en souciait plus.

Il ne se souciait que d’un petit ange qui allait lui revenir tout à l’heure avec du sang sur le visage et sur les ongles, et il n’espéra plus qu’une chose, c’est que, du coup, ce serait fini, qu’il n’aimerait plus, qu’il serait pour toujours débarrassé de cet amour-là !…

« Monsieur, voici la jumelle… »

Il se retourna. Vladimir était devant lui, mais dans quel accoutrement !… Un vêtement énorme et singulier le faisait trois fois plus gros que nature.

« Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ça, monsieur, c’est ma cuirasse !…

— Et pourquoi donc as-tu mis ta cuirasse ?

— Pour vous prouver qu’elle peut nous être utile…

— Et comment va-t-elle nous être utile ?

— Monsieur, vous savez bien que nous ne pouvons observer le sommet Nord de l’Istrandja-Dagh qu’en traversant la plate-forme, et que cette plate-forme est balayée par le feu de la tour de veille. À cause de quoi, J’ai pensé, monsieur, qu’en me couvrant une partie du corps avec ma cuirasse, j’aurais moins de chance d’être tué qu’en ne portant pas de cuirasse du tout !

— Puissamment raisonné ! fit Rouletabille, mais ce n’est pas toi qui dois porter cette cuirasse, c’est moi, puisque c’est moi qui vais traverser la plate-forme.