Aller au contenu

Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
LE CHÂTEAU NOIR

— Mais vous avez parlé d’un crime !…

— Cambriolage à main armée !… » avoua La Candeur.

Et ils racontèrent leur petite expédition contre les locataires du second. C’est Vladimir qui en avait eu l’idée première en entendant un tintinnabulement insolite de fourchettes, la veille au soir, dans le moment qu’ils passaient devant le logement des Allemands.

Depuis plus de quarante-huit heures, on ne leur avait rien apporté à manger, à ces Allemands, et ils ne se plaignaient pas et ils faisaient entendre des bruits de couverts ; cela n’était point naturel, Vladimir fut persuadé que, pendant que l’on jeûnait dans le donjon, les Allemands, eux, ne manquaient ni ne se privaient de rien !

C’est alors qu’il parla de la chose à La Candeur, qui lui répondit aussitôt « qu’il fallait empêcher les Allemands de gaspiller leurs provisions ! Lui aussi passa et repassa devant la porte, et chaque fois qu’il entendait le retentissement d’une assiette et quelque bruit de mâchoire, il revenait malade.

Ils finirent par en parler à Modeste, et commencèrent à débarricader le logement des Allemands. Sur le conseil de Vladimir, Modeste, qui parlait très bien l’allemand, se présenta à leur porte comme un envoyé du consulat de Kirk-Kilissé, le bruit ayant couru jusque-là que des citoyens allemands étaient molestés au fond de l’Istrandja-Dagh. La porte était entr’ouverte ; le géant La Candeur aidant, toute la famille allemande, sous la menace du revolver de Vladimir, était ficelée, bâillonnée, et le logement cambriolé dans les grandes largeurs. Ces gens voyageaient avec des malles pleines de conserves. Ils avaient des pommes de terre dans un sac et du corn-beef pour plusieurs jours, et des douceurs, et jusqu’à du nougat… et du vin ! du vin qui sentait un peu la pierre à fusil, mais enfin du vrai rudesheimer !…

À l’aspect de tous ces trésors, les trois compères n’avaient pu s’empêcher de danser une danse échevelée, une gigue qui avait attiré Ivana chez les Allemands.