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Page:Leroux - Le Mystère de la chambre jaune, 1907.djvu/18

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et il y a eu bataille et elle s’est servie assez adroitement de son revolver pour blesser l’assassin à la main – ainsi s’explique l’impression de la large main d’homme ensanglantée sur le mur et sur la porte, de l’homme qui cherchait presque à tâtons une issue pour fuir – mais elle n’a pas tiré assez vite pour échapper au coup terrible qui venait la frapper à la tempe droite.

– Ce n’est donc point le revolver qui a blessé Mlle Stangerson à la tempe ?

– Le journal ne le dit pas, et, quant à moi, je ne le pense pas ; toujours parce qu’il m’apparaît logique que le revolver a servi à Mlle Stangerson contre l’assassin. Maintenant, quelle était l’arme de l’assassin ? Ce coup à la tempe semblerait attester que l’assassin a voulu assommer Mlle Stangerson… Après avoir vainement essayé de l’étrangler… L’assassin devait savoir que le grenier était habité par le père Jacques, et c’est une des raisons pour lesquelles, je pense, il a voulu opérer avec une « arme de silence », une matraque peut-être, ou un marteau…

– Tout cela ne nous explique pas, fis-je, comment notre assassin est sorti de la « Chambre Jaune » !

– Èvidemment, répondit Rouletabille en se levant, et, comme il faut l’expliquer, je vais au château du Glandier, et je viens vous chercher pour que vous y veniez avec moi…

– Moi !

– Oui, cher ami, j’ai besoin de vous. L’Èpoque m’a chargé définitivement de cette affaire, et il faut que je l’éclaircisse au plus vite.

– Mais en quoi puis-je vous servir ?

– M. Robert Darzac est au château du Glandier.

– C’est vrai… son désespoir doit être sans bornes !

– Il faut que je lui parle… »

Rouletabille prononça cette phrase sur un ton qui me surprit :

« Est-ce que… Est-ce que vous croyez à quelque chose d’intéressant de ce côté ?… demandai-je.

– Oui. »

Et il ne voulut pas en dire davantage. Il passa dans mon salon en me priant de hâter ma toilette.

Je connaissais M. Robert Darzac pour lui avoir rendu un très gros service judiciaire dans un procès civil, alors que j’étais secrétaire de maître Barbet-Delatour. M. Robert Darzac, qui avait, à cette époque, une quarantaine d’années, était professeur de physique à la Sorbonne. Il était intimement lié avec les Stangerson, puisque après sept ans d’une cour assidue, il se trouvait enfin sur le point de se marier avec Mlle Stangerson, personne d’un certain âge (elle devait avoir dans les trente-cinq ans), mais encore remarquablement jolie.

Pendant que je m’habillais, je criai à Rouletabille qui s’impatientait dans mon salon :

« Est-ce que vous avez une idée sur la condition de l’assassin ?

– Oui, répondit-il, je le crois sinon un homme du monde, du moins d’une classe assez élevée… Ce n’est encore qu’une impression…

– Et qu’est-ce qui vous la donne, cette impression ?

– Eh bien, mais, répliqua le jeune homme, le béret crasseux, le mouchoir vulgaire et les traces de la chaussure grossière sur le plancher…

– Je comprends, fis-je ; on ne laisse pas tant de traces derrière soi, « quand elles sont l’expression de la vérité ! »

– On fera quelque chose de vous, mon cher Sainclair ! » conclut Rouletabille.


III

« un homme a passé comme ne ombre à travers les volets »

Une demi-heure plus tard, nous étions, Boitabille et moi, sur le quai de la gare d’Orléans, attendant le départ du train qui allait nous déposer à Épinay-sur-Orge.