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Page:Leroux - Le Mystère de la chambre jaune, 1907.djvu/20

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« L’œuvre de l’auteur dramatique pourrait nuire, ajouta-t-il, après une légère hésitation, à l’œuvre du magistrat… surtout en province où l’on est resté un peu routinier…

– Oh ! Comptez sur ma discrétion ! » s’écria Boitabille en levant des mains qui attestaient le Ciel.

Le train s’ébranlait alors…

« Nous partons ! fit le juge d’instruction, surpris de nous voir faire le voyage avec lui.

– Oui, monsieur, la vérité se met en marche… dit en souriant aimablement le reporter… en marche vers le château du Glandier… Belle affaire, monsieur De Marquet, belle affaire !…

– Obscure affaire ! Incroyable, insondable, inexplicable affaire… et je ne crains qu’une chose, monsieur Boitabille… c’est que les journalistes se mêlent de la vouloir expliquer… »

Mon ami sentit le coup droit.

« Oui, fit-il simplement, il faut le craindre… Ils se mêlent de tout… Quant à moi, je ne vous parle que parce que le hasard, monsieur le juge d’instruction, le pur hasard, m’a mis sur votre chemin et presque dans votre compartiment.

– Où allez-vous donc, demanda M. de Marquet.

– Au château du Glandier », fit sans broncher Boitabille.

M. de Marquet sursauta.

« Vous n’y entrerez pas, monsieur Boitabille !…

– Vous vous y opposerez ? fit mon ami, déjà prêt à la bataille.

– Que non pas ! J’aime trop la presse et les journalistes pour leur être désagréable en quoi que ce soit, mais M. Stangerson a consigné sa porte à tout le monde. Et elle est bien gardée. Pas un journaliste, hier, n’a pu franchir la grille du Glandier.

– Tant mieux, répliqua Boitabille, j’arrive bien. »

M. de Marquet se pinça les lèvres et parut prêt à conserver un obstiné silence. Il ne se détendit un peu que lorsque Boitabille ne lui eut pas laissé ignorer plus longtemps que nous nous rendions au Glandier pour y serrer la main « d’un vieil ami intime », déclara-t-il, en parlant de M. Robert Darzac, qu’il avait peut-être vu une fois dans sa vie.

« Ce pauvre Robert ! continua le jeune reporter… Ce pauvre Robert ! il est capable d’en mourir… Il aimait tant Mlle Stangerson…

– La douleur de M. Robert Darzac fait, il est vrai, peine à voir… laissa échapper comme à regret M. de Marquet…

– Mais il faut espérer que Mlle Stangerson sera sauvée…

– Espérons-le… son père me disait hier que, si elle devait succomber, il ne tarderait point, quant à lui, à l’aller rejoindre dans la tombe… Quelle perte incalculable pour la science !

– La blessure à la tempe est grave, n’est-ce pas ?…

– Evidemment ! Mais c’est une chance inouïe qu’elle n’ait pas été mortelle… Le coup a été donné avec une force !…

– Ce n’est donc pas le revolver qui a blessé Mlle Stangerson », fit Boitabille… en me jetant un regard de triomphe…

M. de Marquet parut fort embarrassé.

« Je n’ai rien dit, je ne veux rien dire, et je ne dirai rien ! »

Et il se tourna vers son greffier, comme s’il ne nous connaissait plus…

Mais on ne se débarrassait pas ainsi de Boitabille. Celui-ci s’approcha du juge d’instruction, et, montrant Le Matin, qu’il tira de sa poche, il lui dit :

« Il y a une chose, monsieur le juge d’instruction, que je puis vous demander sans commettre d’indiscrétion. Vous avez lu le récit du Matin ? Il est absurde, n’est-ce pas ?

– Pas le moins du monde, monsieur…