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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/127

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excessif de la voie publique, le comte, qui aimait à ce que son équipage courût à grande allure et qui ne s’était pas encore impatienté, regarda l’heure qu’il était à sa montre ; sur quoi, Philibert Wat, ayant tiré la sienne, déclara qu’il était onze heures et dix minutes ; sur quoi le comte rectifia en affirmant onze heures onze.

En vain, Wat fit-il remarquer à son compagnon que le cours de déclamation se tenait ce jour-là, entre onze heures et midi, on était sûr de ne pas « manquer » Marcelle Férand, à moins cependant que, fatiguée par une nuit d’insomnie, elle n’eût donné congé à ses élèves, le comte s’empara du tuyau acoustique et fit savoir à son cocher, par l’intermédiaire de son valet de pied, « qu’il était pressé ».

Cette formule devait être magique et Philibert pensa qu’elle était capable de produire une certaine impression sur le cocher, car celui-ci, d’un geste large, sans s’occuper en aucune sorte du danger que ce geste pouvait faire courir à son maître, à M. Philibert Wat et à lui-même, et surtout à ceux qui traversaient alors la rue, leva son fouet et cingla ses deux fameux chevaux bais comme un charretier.

Naturellement, il n’en fallut pas davantage pour que malgré la pente ascendante de la rue d’Amsterdam, l’équipage partît comme un obus.

Philibert Wat, épouvanté, se tourna vers le comte.

Celui-ci, comme si de rien n’était, avait paisiblement baissé les deux glaces qui se trouvaient l’une devant l’autre à côté de lui, et puis s’était repris à regarder sa montre.

Wat voulut crier, mais il ne le put pas. Le train était devenu tellement infernal que le malheureux se voyait déjà en charpie… et le comte regardait toujours sa montre…

Chose extraordinaire, fantastique, inouïe, malgré la rapidité vertigineuse de l’équipage, le cocher n’écrasa personne et ne renversa rien du tout dans le parcours de la rue d’Amsterdam jusqu’au coin de la rue de Berlin, mais alors, arrivé là, il renversa quelque chose.

Une forte clameur poussée par les passants et un choc assez rude, qui fut la cause que M. Philibert Wat alla donner douloureusement de son grand nez sur la glace d’en face, qui ne résista pas, firent connaître qu’un accident venait de se produire.

Les chevaux du comte, événement incroyable, s’étaient arrêtés sur le coup. Quant au comte lui-même, bien avant que Wat fût revenu de sa stupeur, il avait sauté, leste comme un jeune homme, hors de sa voiture, et s’était précipité vers le malheureux véhicule que son équipage avait réduit en miettes.

Il s’agissait d’une élégante victoria dont toute la carrosserie était en morceaux, si bien que devant le résultat d’un pareil choc les passants ne pouvaient que s’étonner du désastre complet de cette voiture, cependant que celle du comte ne semblait nullement avoir souffert.

Heureusement, on n’avait point d’accident de personne à déplorer,